lundi 9 mai 2011

CV anonyme : "dépassons les débats manichéens"

D'après LEMONDE.FR le 09.05.11

Alain Gavand, président de l'association "A compétence égale"

C'est l'étude dont tout le monde parle dans le "landerneau" des ressources humaines et plus largement dans les médias. Le Crest (Centre de recherche en économie et statistique), vient de publier une enquête sur le CV anonyme en collaboration avec le Pôle emploi. Qu'en ressort-il ? Les personnes habituellement discriminées le seraient plus encore avec l'usage du CV anonyme. Un comble!

Explication : si au cours d'un recrutement standard – non anonyme – les candidats potentiellement discriminés ont une chance sur dix de décrocher un entretien, ils n'auraient plus qu'une chance seulement sur vingt-deux lors d'un recrutement via CV anonyme… Les entreprises seraient (le conditionnel s'impose) désormais soucieuses d'embaucher des personnes issues de la diversité. Or le CV anonyme, en cachant leur "spécificité" (genre, quartier, handicap…), n'aurait d'autre effet que de les noyer dans la masse pour réduire in fine leurs chances.

On voit clairement ici que l'on nage en pleine ambiguïté entre d'un côté, lutte contre les discriminations et de l'autre, promotion de la diversité. Deux chantiers finalement différents, connexes, mais qui peuvent se gêner l'un et l'autre… Comment sortir de cette situation ?

J'estime, en tant que président de l'association "A compétence égale", que l'ensemble des parties prenantes – entreprises, acteurs du recrutement, État, associations – doit se mobiliser pour mieux connaître les données relatives aux discriminations et à la diversité.

Commençons par améliorer nos outils d'enquête et d'analyse des discriminations, au lieu de voir se diviser les "antis" et les "pros" CV anonyme à partir d'une étude (celle du Crest) qui porte sur un nombre limité de recrutements, de surcroît effectués par des entreprises volontaires, forcément peu représentatives ! Le CV anonyme, comme le reste, ne doit être ni voué aux gémonies, ni porté aux nues.

N'en déplaise aux "antis-CV anonyme ", celui-ci a permis de faire évoluer les mentalités des recruteurs. Beaucoup d'entre eux ont "appris" à ne plus tenir compte du prénom, de l'âge, du genre, de l'adresse, de la situation de famille. Le CV anonyme leur a permis de se recentrer sur les critères des compétences.

N'en déplaise aux "pros-CV anonyme", depuis le vote de la loi sur le CV anonyme en 2006, le métier de recruteur a été bouleversé par l'explosion des réseaux sociaux et le CV n'est plus le mode de contact unique avec le recruteur.

A cette complexité, il convient d'ajouter que les entreprises et les citoyens discriminés ne forment pas des ensembles homogènes.

Certaines entreprises, dont plusieurs grands groupes, ont déjà engagé des politiques très actives en matière de promotion de l'égalité. La diversité n'est plus un sujet tabou pour elles. Elles considèrent même qu'elle est un facteur de performance. Or, lorsqu'elles souhaitent mettre en place des actions plus volontaristes, aller au devant de la diversité, le CV anonyme peut effectivement se révéler comme un frein. A l'inverse – c'est un fait indéniable – les pratiques discriminatoires perdurent dans nombre d'entreprises. Dans ce contexte, le CV anonyme peut être un moyen de réduire voire d'éliminer les préjugés lors de la première phase de recrutement que constitue le tri de CV.

Quant aux citoyens discriminés, ils n'ont pas tous la même sensibilité par rapport aux questions de "diversité". Certains soutiennent le CV anonyme quand d'autres, à l'inverse, revendiquent leur différence-individualité et ne veulent surtout pas de l'anonymat ! Complexité disais-je, extrême complexité même… Allons-nous dès lors, continuer à nous reposer sur des études parcellaires qui font le lit d'opinions plus ou moins dogmatiques ? J'estime pour ma part qu'il faut plutôt agir et ce, successivement sur deux fronts.

Par ma voix, l'association "A compétence égale" demande à ce que soit réalisée au niveau national une étude d'envergure sur les pratiques discriminatoires dans notre pays : qui sont les victimes ? Quels sont les postes les plus touchés ? Quel est l'impact des actions actuelles ? Ces informations permettront de concevoir les meilleurs outils de lutte contre ces discriminations. Cet apport de données est essentiel et je rappelle à titre d'information que la dernière étude importante en France était un testing réalisé par le BIT en 2006…

Il faudra ensuite intensifier la campagne de sensibilisation auprès de tous les acteurs de l'entreprise : opérationnels et RH. La formation massive des recruteurs, l'amélioration significative des dispositifs d'évaluation, la généralisation des audits, labels, notations et normes, mais aussi un accompagnement des candidats susceptibles d'être discriminés sont indispensables pour passer à la vitesse supérieure ; c'est-à-dire en finir avec les discriminations et faire pleinement s'épanouir la diversité dans le tissu économique et social.

J'en appelle donc à une mobilisation de toutes les parties prenantes entreprises, acteurs du recrutement, État, associations. J'en appelle à un véritable plan de promotion de la diversité en France pour dépasser les débats manichéens. Faisons œuvre d'ambition, plutôt que de tergiversations…