mardi 9 novembre 2010

Pole Emploi : la situation

Y a du boulot à Pôle emploi !

Article de Télérama du 8 novembre 2010 sur “183 Jours dans la barbarie ordinaire”, de Marion Bergeron. Ed. Plon, 240 p., 18,50 €.

LE MONDE BOUGE - Ecrasés par l’accroissement brutal du nombre de chômeurs, ballottés par la fusion entre l’ANPE et l’Assedic, étourdis par une batterie de sigles mystérieux et des consignes qu’ils ont du mal à assumer, les salariés de Pôle emploi ont du mal à faire face. Une jeune femme qui y a effectué un CDD raconte son expérience dans un livre.












Photo : Jean Louis Pradels / MaxPPP

C'est une entreprise française florissante, à haut potentiel. Grâce à une récente fusion, elle est forte de 45 000 employés, détient 2,5 millions de clients « captifs » (et un total de 4,5 millions plus ou moins dépendants). Chaque employé gère un « portefeuille » d'une bonne centaine de clients. Pour faire face à l'expansion récente (500 000 noms supplémentaires), ce fleuron de notre économie a dû recourir à des employés intérimaires...
L'une d'elles, Marion Bergeron, parisienne de 25 ans, qui se définit comme « graphiste, étudiante, chômeuse, free-lance », publie le compte rendu de son CDD en banlieue sud de la capitale (1). Où l'on découvre d'abord que l'entreprise en question – fusion des entités Assedic et ANPE, joliment baptisée Pôle emploi – a pour première bizarrerie que ses employés cherchent, non pas à étendre leur « portefeuille » de clients, mais à s'en délester. Pour cela, ces clients, qu'on appelait autrefois « administrés » et qui sont « en demande d'emploi », sont convoqués à des entretiens mensuels de plus en plus expéditifs, auxquels la moitié d'entre eux ne se rend pas, ce qui permet théoriquement de les radier, chose qu'on ne fait toutefois qu'en dernier ressort pour éviter davantage de violence verbale et physique envers les employés... Lesquels employés, en attendant la construction de l'immeuble qui doit réunir les deux ex-entités, errent d'un bureau (ex-ANPE) à l'autre (ex-Assedic), s'ignorant réciproquement et se déplaçant avec leur « chien » (petit placard à roulettes, stylos, agrafeuse, deux kilos de dossiers). Contrairement à Marion, qui a bénéficié d'une formation au CRDC (Centre de ressources et de développement des compétences), où elle s'est vu remettre un glossaire des 300 sigles de Pôle emploi, nous ne sommes pas sûr d'avoir tout compris. Nous n'avons pas percé tous les mystères de la ZTT (Zone de traitement technique), de la PST (Plate-forme de services téléphoniques), de la MER (Mise en relation) ou de la S@D. Ah si, la S@D, nous avons compris qu'il s'agissait d'un compte personnalisé au sein du site Internet de Pôle emploi, « qui permet aux demandeurs d'organiser eux-mêmes leur prospection », chose un brin tordue puisque « beaucoup ignorent tout de l'existence de l'informatique »...
On ressort de cette plongée dans la déglingue sociale un brin sonné (agacé aussi parfois par les descriptions vestimentaires condescendantes de notre jeune Parisienne). Et l'on se remémore la récente enquête Ipsos, commandée par le secrétaire d'Etat à l'Emploi, Laurent Wauquiez : des demandeurs d'emploi satisfaits des progrès en matière d'indemnisation, certes, mais toujours aussi dubitatifs sur les services proposés pour réintégrer le marché du travail... On se souvient aussi d'une grève, le 8 juin dernier, des salariés de Pôle emploi, qui rediront leur « mal-être » le 9 novembre. Laurent Wauquiez n'est à l'évidence pas le plus incompétent ni le moins dénué de fibre sociale des ministres de Nicolas Sarkozy. Mais pour avoir dû imposer une réforme à marche forcée et sans moyens, en pleine crise sociale produite par une dérive financière que personne ne cherche plus à combattre, il a entre les mains une bombe nommée Pôle emploi.
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Vincent Remy

Télérama n° 3173

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